TRIBUNAL PERMANENT DES PEUPLES – Session sur l’industrie minière canadienne
Verdict préliminaire – audience Amérique latine, 1er juin 2014
Note: Cet extrait du verdict est une version préliminaire qui a été présentée par les membres du jury le 1er juin 2014, suite à leurs délibérations. Une version complète et définitive sera disponible prochainement.
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Le verdict a été présenté par les membres du jury : Maude Barlow (Conseil des Canadiens), Mireille Fanon-Mendès-France (Fondation Frantz Fanon, France), Nicole Kirouac (Comité de vigilance de Malartic, Québec), Gérald Larose (Université du Québec à Montréal), Viviane Michel (Femmes autochtones du Québec), Javier Mujica Petit (Centro de Políticas Públicas y Derechos Humanos, Pérou), Antoni Pigrau Solé (Universitat Rovira i Virgili, Espagne), Gianni Tognoni (Tribunal permanent des peuples, Italie)
Extrait du verdict préliminaire:
« Le Tribunal permanent des peuples (TPP) s’est réuni en cette occasion pour juger les sociétés minières canadiennes, qui sont accusées de porter atteinte aux droits fondamentaux des peuples en Amérique latine; et pour examiner les accusations formulées contre l’État canadien pour sa contribution à la violation des droits humains des peuples en Amérique latine, contribution qui se manifeste par son soutien, par action et omission, à l’industrie minière ainsi que par divers agissements qui favorisent un contexte d’impunité.
En ce qui concerne les impacts des entreprises minières canadiennes sur l’accès, la jouissance et le plein exercice des droits humains des nations et des peuples des pays où elles opèrent, le TPP identifie plusieurs niveaux de responsabilités.
D’une part, les entreprises elles-mêmes ont une responsabilité lorsqu’elles manquent à leur devoir de respecter et de protéger les droits humains tels qu’ils sont reconnus par le droit international des droits humains. D’autre part, l’État canadien et les États latino-américains ont aussi une responsabilité dans les violations des droits humains dénoncées. Dans les deux cas, ils sont responsables par omission à leur devoir de protéger les droits humains, qui inclue un devoir de prévention et de sanction des abus, notamment ceux causés par des entreprises minières canadiennes.
Le manquement à ce devoir comporte une responsabilité par action et par omission. Dans le cas de l’État canadien, il est responsable par action lorsqu’il stimule la présence des entreprises minières canadiennes au sein d’autres pays en appuyant politiquement, économiquement, financièrement et diplomatiquement les entreprises; lorsqu’il tolère ou couvre des violations des droits humains perpétrées par lesdites entreprises; ou lorsqu’il nie aux victimes l’accès à des recours effectifs contre des violations de leurs droits.
Il est responsable par omission lorsqu’il s’abstient de prendre des mesures ou d’exiger que les entreprises minières canadiennes ne mettent en œuvre des mesures pour éviter ou remédier aux violations des droits. Il s’agit là d’une responsabilité à laquelle l’État canadien ne peut échapper, considérant qu’entre 50% et 70% des activités minières en Amérique latine sont réalisées par des entreprises minières canadiennes, et que plusieurs de ces projets miniers sont à l’origine de graves conflits socio-environnementaux et de menaces aux droits humains. Il est amplement connu que ces projets miniers de grande échelle contreviennent fréquemment à l’exercice des droits à l’autodétermination des peuples et aux droits des collectivités qui les composent de définir par eux-mêmes leurs modes de vie et leur futur, occasionnant de graves bouleversements dans la vie des communautés et entraînant au sein de celles-ci des tensions, de la méfiance, des divisions et des conflits.
La responsabilité des États hôtes des investissements des compagnies minières canadiennes prend forme lorsque ces États octroient des permis d’exploitation des ressources naturelles sans tenir compte de l’impact de ces activités sur les droits humains; lorsque ces permis sont octroyés sans qu’il y ait eu consultation et/ou consentement préalable, libre et éclairé des communautés et populations autochtones qui seront touchées par ces opérations; quand les États renoncent à exiger des entreprises des normes de performance qui respectent les droits humains; quand ils assouplissent leurs normes du travail, environnementales et fiscales pour favoriser l’intérêt des entreprises minières; quand ils tolèrent ou collaborent aux opérations de celles-ci au détriment des communautés où elles opèrent.
Les États encourent la même responsabilité lorsque – minant arbitrairement les fondements de l’État démocratique et social – ils criminalisent directement l’activité des individus, des activistes, des leaders communautaires et des défenseurs des droits humains et de l’environnement qui réclament de façon légitime et pacifique le droit à l’autodétermination et qui s’opposent aux violations de leurs droits et libertés fondamentales. Les mouvements sociaux (souvent autochtones) qui sont stigmatisés et criminalisés pour leurs actions en défense du territoire des communautés affectées revendiquent un environnement sain, la protection de la nature, des écosystèmes, de leurs moyens de subsistance, de l’eau, du patrimoine culturel et du droit de décider du type de développement local à mettre de l’avant.
Ces États portent bien sûr une responsabilité par omission lorsque, comme dans le cas de l’État canadien, ils s’abstiennent de prendre des mesures – ou d’exiger que les entreprises minières canadiennes n’en adoptent – pour prévenir les risques et/ou remédier aux violations des droits humains et environnementaux causées par leurs opérations.
Le Tribunal permanent des peuples a entendu lors des audiences le témoignage de nombreuses victimes, ainsi que de spécialistes et d’experts, ce qui lui a permis d’acquérir une vision d’ensemble des enjeux et d’identifier des pratiques des entreprises minières canadiennes, de l’État canadien et des États hôtes des investissements des premiers, qui dans leurs actions ignorent la valeur humaine et sociale et, dans plusieurs occasions, la valeur de la vie même.
Les cas examinés par ce Tribunal montrent des violations manifestes des droits humains, et le Tribunal considère avéré – avec à l’appui la documentation et les témoignages reçus – que les entreprises minières canadiennes implantées au Mexique, au Honduras, au Guatemala et au Chili dont les agissements ont été examinés durant l’audience ont entraîné des violations de multiples droits qui, comme il fut exposé dans l’accusation, peuvent être regroupées dans trois domaines :
- En premier lieu, le Tribunal constate la violation du droit à la vie, à un niveau de vie suffisant, à l’alimentation à l’eau, à la santé, au logement, à la liberté et à l’intégrité des personnes, à la sécurité et à un environnement sain et protégé.
- En deuxième lieu, ces entreprises, conformément aux accusations qui leur ont été attribuées, ont violé le droit des peuples à l’autodétermination ainsi que le droit – associé à ce dernier – de disposer eux-mêmes de leurs ressources, terres et territoires. Il considère également qu’il a été démontré que ces entreprises ont violé le droit à la participation, à la consultation et au consentement préalable, libre et informé des communautés, de même que leur droit à leur propre modèle de développement et au plein exercice de leur culture et traditions.
- En troisième lieu, ont été constatées des violations du droit des communautés à une citoyenneté pleine, qui comprend le droit à la dignité humaine, à l’éducation, au travail et à des conditions de travail justes et équitables, ainsi qu’à la liberté syndicale qui inclue le droit de s’associer librement et de négocier collectivement leurs conditions d’emploi. Les libertés d’expression, d’association, de réunion pacifique, d’accès à l’information, de participation et le droit à un recours effectif, simple et rapide les protégeant de violations à leurs droits humains sont également atteintes. Le Tribunal considère qu’il a été démontré qu’il y a eu violation par les entreprises imputables du droit des personnes et des communautés affectées à défendre leurs droits humains et à ne pas subir de discrimination.
Le Tribunal estime que l’expansion de l’industrie minière canadienne en Amérique latine n’aurait pas été possible sans la promotion et l’assistance directe de l’État canadien à l’industrie minière à travers des actions, politiques et programmes gouvernementaux de divers organes. L’intervention de l’État canadien s’est matérialisée de différentes manières :
– Par un appui politique et par une ingérence indue dans les processus législatifs des États hôtes. Par exemple, par une ingérence inappropriée dans la réforme des lois minières et environnementales, un lobbying diplomatique, un appui à l’investissement social des entreprises et par la négociation d’accords commerciaux qui protègent l’investissement canadien à l’étranger.
– Par le biais d’un appui économique et financier qui s’exprime par des prêts octroyés par Exportation et Développement Canada et l’Office d’investissement du Régime de pensions du Canada, par l’omission d’établir des règles de transparence sur les marchés financiers canadiens, par des mesures fiscales favorables et par l’appui de missions commerciales, entre autres.
– Par le fait d’imposer ou de tolérer l’existence d’obstacles qui entravent l’accès à la justice canadienne pour les personnes et les communautés touchées par les activités minières canadiennes.
La promotion sur la scène internationale du commerce et de l’investissement par les entreprises canadiennes ne peut ignorer la primauté que le droit international accorde aux droits humains; et encore moins ne permet que l’on crée, dans le but de favoriser des intérêts privés, une situation de privilège pour l’industrie minière qui contrevient aux droits humains au Canada, en Amérique latine et partout où opère l’industrie.
Sur la base de ces considérations, le Tribunal permanent des peuples déclare responsables les entreprises Barrick Gold et sa filiale Nevada SpA; Goldcorp et sa filiale Entre Mares; Tahoe Resources et sa filiale San Rafael S.A., Blackfire Exploration et sa filiale Blackfire Exploration Mexico S. de R.L. de C.V., Excellon Resources et sa filiale Excellon de México S. A. de C. V, pour les violations des droits humains ici présentées. L’État du Canada et les États hôtes où sont exploitées les ressources naturelles par ces entreprises sont aussi responsables de ne pas avoir empêché les violations, d’avoir facilité, toléré ou dissimulé celles-ci, et d’avoir dans la pratique empêché l’accès des victimes à un recours les protégeant contre de telles violations ».